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Mines et métaux

La guerre des minerais, revers de la transition énergétique ?

Avec les éoliennes ou les véhicules électriques, la transition énergétique devrait entraîner une explosion de la demande en minerais, alerte l’Agence internationale de l’énergie. Au point qu’il faudrait quadrupler les besoins en minerais pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

La transition écologique a du lithium dans l’aile. Un rapport de la très sérieuse Agence internationale de l’énergie (AIE), paru mercredi 5 mai, vient questionner la réussite de nos objectifs climatiques. En cause : les minerais nécessaires au déploiement d’une économie verte. « Un effort concerté pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris signifierait un quadruplement des besoins en minéraux pour les technologies énergétiques propres d’ici 2040, écrit l’agence. Une transition encore plus rapide, visant à atteindre le “zéro émission nette” à l’échelle mondiale d’ici 2050, nécessiterait six fois plus d’intrants minéraux en 2040 qu’aujourd’hui. »

Cette analyse inédite, intitulée The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions, étudie l’évolution de la demande mondiale en minerais — cuivre, lithium, cobalt ou nickel — selon différents scénarios politiques. « Les données montrent un décalage entre les ambitions climatiques de la communauté internationale et la disponibilité des minéraux critiques qui sont essentiels à la réalisation de ces ambitions », a déclaré Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, dans un communiqué.

L’étude va même plus loin : « Dans le cadre d’un scénario compatible [avec un réchauffement limité à + 2 °C], on estime que l’offre des mines existantes et des projets en cours ne permettra de satisfaire que la moitié des besoins prévus en lithium et en cobalt, et 80 % des besoins en cuivre d’ici à 2030. » En clair, si rien n’est fait, l’explosion de la demande en minerais — pour les véhicules électriques et les éoliennes notamment — pourrait créer de fortes tensions au niveau international. Pénurie, flambée des prix, crispations géopolitiques… La guerre des minerais aura-t-elle lieu ?

Graphique tiré du rapport de l’AIE : part des minerais utilisés dans les technologies d’énergie propre par rapport à d’autres sources de production d’électricité.

Des fragilités en cas de hausse de la demande

L’AIE identifie ainsi une série de « vulnérabilités ». D’abord, « la production de nombreux minéraux de transition énergétique est plus concentrée que celle du pétrole ou du gaz naturel. Pour le lithium, le cobalt et les terres rares, les trois premiers pays producteurs contrôlent bien plus des trois quarts de la production mondiale. » En 2019, la République démocratique du Congo (RDC) et la Chine produisaient quelque 70 % et 60 % de la production mondiale de cobalt et de terres rares, note le rapport. La Chine apparaît également en situation de quasi-monopole quant à la transformation de ces minerais : la part du pays dans le raffinage est « d’environ 35 % pour le nickel, de 50 à 70 % pour le lithium et le cobalt, et de près de 90 % pour les terres rares ».

Autre facteur de fragilité, selon l’AIE, la lenteur de développement des projets d’extraction, qui mettraient « seize ans et demi en moyenne pour passer de la découverte à la première production ». « Ces longs délais soulèvent des questions quant à la capacité des compagnies à augmenter la production si la demande devait augmenter rapidement », précise le rapport. Il s’inquiète également d’une baisse de la qualité des minerais : « La teneur moyenne du minerai de cuivre au Chili a diminué de 30 % au cours des quinze dernières années. L’extraction du métal contenu dans des minerais de moindre qualité nécessite plus d’énergie, ce qui exerce une pression à la hausse sur les coûts de production, les émissions de gaz à effet de serre et les volumes de déchets. »

L’agence note également avec euphémisme « une variété de problèmes environnementaux et sociaux qui, s’ils sont mal gérés, peuvent nuire aux communautés locales et perturber l’approvisionnement ». En octobre dernier, l’ONG Sherpa a publié une étude très documentée sur les atteintes récurrentes à l’environnement et aux droits humains liées à l’extraction de ces matières premières stratégiques. Travail forcé des enfants, pollution des eaux par des produits toxiques, destruction d’espèces protégées… les conséquences sont loin d’être négligeables.

La mine Luwowo de coltan près de Rubaya, dans le Nord-Kivu (RDC), en 2014.

Sauver les meubles de la transition écologique capitaliste

Enfin, le rapport souligne les « risques climatiques ». Autrement dit, le dérèglement climatique pourrait compromettre l’extraction des minerais censés accompagner son atténuation. « Le cuivre et le lithium sont particulièrement vulnérables au stress hydrique en raison de leurs besoins élevés en eau, indique l’analyse. Plusieurs grandes régions productrices telles que l’Australie, la Chine et l’Afrique sont également soumises à des chaleurs extrêmes ou à des inondations, ce qui pose de plus grands défis pour assurer un approvisionnement fiable et durable. »

Voilà de quoi interroger le modèle de croissance verte promu par nos dirigeants. Renouvelable, l’énergie éolienne ? Durable, le véhicule électrique ? « Une voiture électrique typique nécessite six fois plus de minéraux qu’une voiture classique, et une centrale éolienne terrestre requiert neuf fois plus de ressources minérales qu’une centrale électrique au gaz de taille similaire », analyse le rapport. Pour autant, l’AIE, qui dépend de la très libérale Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ne remet pas en cause le développement d’une économie « durable ». Bien au contraire, elle formule une série de recommandations pour sauver les meubles de la transition écologique capitaliste : promotion d’innovations technologiques, constitution de stocks stratégiques, investissements dans de nouvelles sources d’approvisionnement, etc.

Ces préconisations rejoignent en grande partie les lignes tracées par la Commission européenne en septembre dernier, dans son plan d’action européen sur les matières premières critiques. Une feuille de route largement critiquée par 230 organisations non gouvernementales, car elle conduirait « à intensifier l’extraction des ressources et à développer des projets miniers en Europe et dans l’hémisphère Sud ».

« La transition énergétique ne doit pas se faire en suivant les logiques actuelles, expliquait en octobre dernier Jean François, juriste au sein de l’ONG Sherpa. Promouvoir le passage du véhicule thermique à l’électrique n’est peut-être pas la solution ; mieux vaudrait réfléchir à réduire et à changer nos modes de déplacements. » Pourquoi pas également mettre le paquet sur le réemploi et le recyclage : « Nous estimons que, d’ici 2040, les quantités recyclées de cuivre, de lithium, de nickel et de cobalt provenant des batteries usagées pourraient réduire d’environ 10 % les besoins en approvisionnement primaire combiné pour ces minéraux », recommande le rapport de l’AIE. Une piste à creuser ?

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